
Le trafic de drogue à Marseille
Le trafic de drogue à Marseille d’après trois articles de presse.
De dramatiques évènements criminels touchent depuis des années les quartiers nord de Marseille gangrenés par le trafic de drogue. Cinquante morts recensés en 2023, et en 2024, entre autres crimes, ce conducteur de VTC assassiné par un gamin de 14 ans. Au mois d’octobre 2024, trois revues ont traité de ce problème : Alternatives Économiques dans son numéro d’octobre et Politis et l’Humanité magazine dans leur numéros du 17 octobre.
L’ article de la revue Alternatives économiques montre que le triplement des budgets de la police consacrés à cette lutte sont sans effet : De 542 millions d’euros en 2009, ils sont passés à 1882 millions en 2023, mais le prix du cannabis est resté stable depuis 2019, celui de la cocaïne a même légèrement baissé. Ce qui signifie que les trafiquants n’ont aucun problème d’approvisionnement et que la marchandise s’écoule facilement. Et les français sont dans le trio de tête des consommateurs de cannabis en Europe.
Un autre article dans l’excellente revue Politis montre pourquoi ça ne fonctionne pas.
Le 19 mars 2024, devant les caméras, avec les ministres de l’intérieur, de la justice et en présence, excusez du peu, du président de la république en personne qui avait fait le déplacement, était lancée l’opération : « Place nette XXL ». Pendant trois semaines, 800 policiers et gendarmes ont quadrillé le quartier de la Castellane à Marseille, complètement pourri par les trafiquants de drogue. Résultat : 856 personnes interpellées, 461 placées en garde à vue, 480 kg de cannabis, 3,5kg de cocaïne, 23 armes et 2,8 millions d’euros saisis. Depuis, les habitants du quartier vivent plus normalement. Mais comme dit un policier : « concentrer autant d’effectifs, c’est compliqué à tenir sur la durée ». Et les trafiquants se sont adaptés. Ils ont déplacé leurs points de vente et se sont « ubérisés ». Maintenant on livre à domicile.
Mais si le trafic fonctionne si bien pourquoi tant de violence ?
Là c’est un article de l’Humanité magazine du 16 octobre qui montre ce qui se passe. Un journaliste marseillais, Philippe Pujol, connait très bien les quartiers nord. Il a reçu le prix Albert Londres qui est un peu le Goncourt des reporters, pour un livre précédent sur le sujet. Il porte un regard sans complaisance mais lucide sur ceux d’en bas, ceux qu’il appelle les « mains noires, bourreaux et esclaves en même temps qui sont à la fois acteurs et victimes [de ce qu’il appelle] l’ubérisation du deal. » Entre les grossistes qui reçoivent la marchandise dans les ports et les aéroports et eux, il y a toute une pyramide de gens qui ne fonctionnent plus comme une mafia mais en réseaux ubérisés où les différents étages ont des relations purement commerciales, chaque zone de deal fonctionnant comme une franchise. Sauf qu’ici on se dispute les franchises à la Kalachnikov.
Et il brise un mythe : celui de gamins qui gagnent des fortunes. « Quand les médias disent que les gamins des quartiers nord gagnent entre 3 000 et 8 000 euros par mois, c’est faux. Évidemment que le trafic de drogue n’est pas une économie redistributive, c’est le capitalisme le plus sauvage et continuer à entretenir cette légende c’est dangereux. Le but est même de faire travailler des gamins gratuitement, en les intimidant, en les maltraitant, en les endettant... En intégrant un réseau, ils ont pendant quelques mois, l’impression d’être les rois du monde : argent, fringues, filles. Puis rapidement ça change, ils se rendent compte qu’ils n’auront rien et commencent à s’exploiter entre eux...J’ai réalisé les liens du trafic de stups avec un regain monumental de la prostitution de mineures...des filles venant souvent de l’aide sociale à l’enfance pourtant censées être protégées par l’État. C’est un endroit idéal pour que de petits dealers endettés aillent trouver des gamines à prostituer en les droguant au protoxyde d’azote. » Et plus loin il ajoute : « Mais même les pires salopards des cités sont des gosses qui ont mal tourné »
Sa vision est politique : « Le monde économique a lui aussi besoin de quartiers populaires dégradés. Mais pour dégrader une cité rien de mieux que de laisser évoluer un réseau de stups qui veut compliquer le passage des policiers, et maintenir les difficiles conditions de vie des familles pour fragiliser la potentielle main d’oeuvre. Pour les bailleurs, l’immobilier et le BTP, les quartiers nord de Marseille, c’est de l’or. Tout un système s’équilibre grâce à la misère. Il ne tient qu’au monde politique, à la gauche, de s’en saisir pour le déséquilibrer. »
Et là on retourne à l’article de Politis, où l’Association française des magistrats instructeurs déclare : « Les opérations place nette qui mobilisent de façon ponctuelle des moyens considérables de policiers sur la voie publique ne peuvent être suffisantes pour endiguer le narcotrafic. Ces actions doivent nécessairement s’accompagner d’enquêtes de fond, de longue haleine, à l’abri des campagnes médiatiques. »La drogue fait circuler beaucoup d’argent. La lutte contre son blanchiment est sûrement bien plus efficace que de coffrer des dealers rapidement remplacés.
Il faut donc que l’administration fiscale, les douanes, la justice, aient les moyens matériels, humains et juridiques de suivre les mouvements de capitaux suspects, les sociétés écran, et pour cela mettre fin au fameux secret bancaire et au secret des affaires.