Lecture du mois par André Oliva

L’ensauvagement du capital de Ludivine Bantigny

, par JN

L’ensauvagement du capital. de Ludivine Bantigny.

Depuis quelque années sont apparus des petits ouvrages à mi chemin entre l’article de journal et le livre. Ce sont des fascicules d’une soixantaine de pages traitant de sujets variés, politiques, économiques, de société.
C’est le cas de « L’ensauvagement du capital », publié dans la collection Libelle au Seuil. Son auteur : Ludivine Bantigny. C’est une historienne des mouvements sociaux, qui après avoir longtemps travaillé comme enseignante chercheuse à l’université de Rouen a décidé de retourner dans l’enseignement secondaire. Elle exerce dans un lycée à Paris. Elle est partie car elle ne supportait plus la manière dont on est obligés de travailler dans l’enseignement supérieur.Recherche de crédits, précarité de nombreux chercheurs, compétition, pression constante. Là aussi, le management à la sauce libérale fait des ravages.
Et ce petit livre est un cri, cri d’indignation et de colère. « Je lis le mot ensauvagement à longueur de journée, de colonnes, de slogans . Alors je reviens à Césaire qui décrivait l’Europe coloniale suçant comme un vampire le sang, les terres, les biens et la dignité même, ravalant l’humanité au rang de bête de somme. » Et pour Césaire qui a inventé le mot, c’était bien le colonisateur qui s’ensauvageait lui même en niant sa propre humanité par les exactions qu’il commettait.

Et elle montre, par des exemples coup de poing, que cet ensauvagement est toujours d’actualité. Ensauvagement quand cet enfant américain, dont elle montre la photo, meurt à 12 ans en 2017, d’une surinfection dentaire parce que sa mère n’avait pas les 80 dollars réclamés par le dentiste pour lui soigner la molaire infectée. Ensauvagement quand on calcule le prix de la mort comme l’a fait Ford à la fin des années 70 quand il a calculé que ça lui coûterait moins cher de payer les indemnités, y compris de décès, plutôt que de rappeler une série de voitures dont le réservoir pouvait s’enflammer, blessant et parfois tuant les occupants du véhicule.Ensauvagement aux Etats-Unis toujours, quand on étudie des substances neuroleptiques susceptibles de diminuer très fortement la durée du sommeil pour rendre les militaires et les travailleurs plus efficaces. Avec les conséquences qu’on imagine pour leur état de santé ultérieur.
Évidement, on s’ensauvage aussi chez nous quand par exemple, l’ex ministre de l’éducation Luc Ferry traite les Gilets jaunes de « salopards » et suggère que l’armée leur tire dessus. Ou chez ORPEA, dont le scandale a éclaté après la publication de l’ouvrage. Ensauvagement encore quand Pia Klemp, la capitaine du navire sauvant des réfugiés en Méditerranée risque devant la justice italienne la prison et 15 000€ d’amende par personne sauvée. Ou les treize ans de prison à Domenico Luciano, maire de Riace en Calabre qui a fait revivre son village en accueillant des réfugiés.Ce ne sont là que quelques cas tirés de ce livre combatif et revigorant.Il montre que ces cas ne sont que les conséquences particulières d’un système sauvage qui détruit la nature et les hommes. Et pour finir cette citation qu’elle fait de l’historien Jérôme Baschet « La seule leçon que l’histoire nous enseigne est celle-ci : aucune société, aucun système historique n’est par définition, éternel. Mais le capitalisme a ceci de particulier et sa tendance destructrice est telle que plus il prolonge sa propre vie plus il sape les conditions mêmes de la vie sur terre ».