Parce que chaque éléve compte émission du 26 novembre 2022
Parce que chaque élève compte.
Dans notre émission de septembre 2018, nous avions présenté un livre intitulé : « Les territoires vivants de la République ». Ce livre se voulait une réponse à la stigmatisation des banlieues populaires, présentées à longueur d’émissions, d’articles et de discours comme des zones de non droit, de délinquance, de communautarisme où l’école de la république ne pouvait plus faire entendre sa voix auprès d’une jeunesse gangrenée par l’islamisme. Des enseignants dans des quartiers populaires de Paris et de Seine-saint-Denis voulaient montrer que cette image déformée et méprisante pour les habitants qui y vivent était fausse. Dans ces prétendus « Territoires perdus de la République » pour reprendre le titre d’un livre tristement célèbre, on trouvait des élèves avides d’apprendre, des parents qui s’impliquent dans l’éducation de leurs enfants et attendent beaucoup de l’école de la république. On trouvait des collèges et des lycées où on pouvait enseigner la shoah, l’esclavage et la traite négrière. On pouvait faire comprendre et faire vivre la laïcité.A partir de leur expérience, ils montraient que tout cela est possible. A la suite du livre un mouvement s’est créé, le « Collectif Territoires vivants » qui entend promouvoir des actions pédagogiques innovantes et le faire savoir car ces personnels de l’Education Nationale sont animés par le souci de déconstruire les préjugés sur l’école en milieu populaire. Car disent-ils : « Pourquoi ne donne-t-on pas la parole à ces jeunes sans cesse renvoyés à leurs origines, qui clament fraternité, égalité, respect, et qui sont inquiets et lassés d’être associés sans cesse aux actes de certains adolescents en dérive ? »
Le collectif vient de publier un livre intitulé : « Parce que chaque élève compte » Il a été coordonné par Benoit Falaize qui avait déjà coordonné le livre précédent et par Mohand-Kamel Chabane qui en avait été l’un des auteurs.Il est publié aux éditions de l’Atelier et à l’Ecole des lettres. Il recueille des textes publiés dans Le Monde et dans la revue L’Ecole des Lettres de 2019 à 2022 relatant des actions pédagogiques menées par des équipes de professeurs dans des écoles élémentaires, des collèges et des lycées réputés difficiles. Il n’y en a pas qu’en région parisienne on en trouve aussi à Nantes, à Lyon, à Rochefort et jusqu’en Guyane.
Dans quatre chapitres, ils montrent ce qui anime leurs actions auprès des élèves.
D’abord, et c’est fondamental, changer de regard : « Parce que tout commence par le regard qu’on porte sur les élèves » Que ce soit individuellement comme pour cet ado qui bon élève en primaire, s’était construit ensuite un personnage de perturbateur patenté qui le suivait de collège en collège d’où il se faisait exclure jusqu’au jour où un principal lui a dit : « Quoi que tu fasses, je ne t’exclurai pas ». Alors, dit il : « J’ai compris que mes bêtises ne me seraient plus utiles pour fuir mon quotidien et je me suis mis au travail ». Il est maintenant étudiant à l’université. Ou collectivement comme cette mère d’élèves d’origine maghrébine qui écrit « Personne ne s’intéresse vraiment à ces enfants bercés dans une double culture et qui ont du mal à faire la part des choses. Pour ma part, j’apprends à mes enfants que nous sommes des Français d’origine étrangère et que la double culture est une richesse...Notre religion fait aussi partie de nous, mais français et musulman est-ce incompatible comme le prétendent tant de discours ? »
Ensuite, le déterminisme social ne doit pas avoir le dernier mot.Un exemple parmi d’autres. A Chatenay-Malabry, en proche banlieue parisienne, on avait fait deux constats : Un des facteurs de l’échec scolaire, ce sont de mauvaises transitions entre l’école et le collège et entre le collège et le lycée, car c’est toujours dans ces moments cruciaux de leur scolarité que les élèves issus des quartiers populaires peuvent s’effondrer et doivent être soutenus. D’où la création d’un coordonnateur des deux REP primaire et collège pour faciliter ces transitions. Deuxième constat : les sciences sont peu enseignées dans les écoles élémentaires et c’est alors le milieu familial qui compense, mais si le milieu familial ne peut pas jouer ce rôle, c’est donc bien à l’école de compenser cela par des pratiques soutenues. D’où la création dans les années 2000 d’une Maison des sciences, avec cinq actions indissociables : l’accompagnement des classes, la formation des enseignants, la disponibilité de la ressource matérielle et intellectuelle, le soutien aux lycéens et le développement de la culture scientifique et technique. Depuis 2006 qu’elle fonctionne, on constate les résultats : « Des élèves qui ont suivi des pratiques scientifiques à l’école arrivent chez nous avec une attitude complètement différente.Ils ont non seulement des connaissances mais savent comment aborder une situation nouvelle et inconnue. On retrouve beaucoup de nos collégiens dans les filières scientifiques au lycée. En somme on ne les distingue plus de ceux du Centre-ville »
Ils s’en prennent aussi aux concurrences mémorielles qui disent-ils n’ont rien d’évident.
C’est pourquoi un prof d’histoire n’hésite pas à aborder un sujet brûlant : la mémoire de la guerre d’Algérie au sein d’espaces de dialogue au lycée Galilée de Gennevilliers.
« D’aucuns y verraient une provocation dit-il, j’y vois un point de départ, le marchepied vers une réflexion collective menée au lycée, ensemble, bien loin d’une perception dramatisante relayée par certains médias. »Le résultat, résumé par Ilhem, une élève de terminale qui en a discuté en famille : « C’est bien de connaître l’histoire de France. C’est passé maintenant. Cela m’a permis de découvrir que mes quatre grand-parents avaient fait la guerre pour libérer leur pays, mais je suis française » Finalement dit l’auteur : « au lieu de nous diviser, comprendre l’histoire nous unit. » Tout dépend bien sûr comment c’est fait et dans quel esprit.
Ce ne sont là que quelques exemples tirés de ce livre très riche mais facile à lire.Ces actions sont très diverses : elles touchent tous les niveaux, école primaire, collège, lycées classiques ou professionnels. Elles mettent en œuvre des matières et des activités très variées : recherche historique, enquêtes dans le milieu familial, photo, théâtre, concours d éloquence. Toutes ont un double objectif : donner à ces élèves des outils culturels et intellectuels pour progresser dans leurs études et dans la vie, mais avant tout et préalablement, restaurer l’image très défavorable qu’ils ont d’eux mêmes, leur redonner conscience de leur dignité, leur redonner confiance. Confiance en eux, confiance dans l’école et dans la vie. Et n’oublions pas que les auteurs de ce livre ne sont pas seuls, des milliers d’enseignants ont le mêmes objectifs qu’eux et rament à contre-courant d’un système qui ne les soutient pas, car comme l’écrit dans la postface du livre le chercheur et pédagogue Philippe Meirieu : « Un des enjeux auxquels nous avons à faire face, est le glissement progressif de notre système éducatif d’une logique d’institution à une logique de service. La logique d’institution promeut des valeurs communes et associe chacun des acteurs à une mission dont il est pleinement partie prenante. La logique de service, elle, fait des acteurs éducatifs les obligés des clients de l’institution scolaire et privilégie leur satisfaction immédiate à la promotion de valeurs qu’ils pourraient poursuivre ensemble. C’est ravageur pour les enseignants ...contraints d’exécuter des tâches dans une perspective purement utilitariste. » et plus loin il ajoute : « Ne soyons pas naïfs, le vrai clivage est bien là, sur la question de l’exclusion, sur le principe d’éducabilité de toutes et tous. Ce principe est insupportable pour les partisans du désordre établi. Les dominants acceptent volontiers que quelques dominés se fassent une place au soleil mais ils ne supportent pas qu’on s’attaque au rapport de domination lui même. Or c’est ce que vous faites concrètement, obstinément. C’est ce qui fait votre grandeur et donne toute sa valeur à votre travail. »
- Collectif Territoires vivants Parce que chaque élève compte. L’Atelier, l’Ecole des Lettrres.
Ouvrage collectif présenté par Benoît Falaize Territoires vivants de la République.La Découverte