Pour la justice climatique

, par JN

Pour la justice climatique.

Cet ouvrage a été coordonné et rédigé par Vincent Gay et Nicolas Heringer. Et publié aux « Liens qui libèrent »
Après un chapitre d’ introduction intitulé : « Un autre monde est-il encore possible ? »où les auteurs déclarent : « le parti-pris de cet ouvrage collectif est donc de se situer à distance raisonnable d’un double écueil : celui de la résignation comme celui de l’optimisme forcé », le livre comporte deux parties : La première, « Apprendre de l’adversité » où l’on analyse les problèmes et les défis que pose le changement climatique. La deuxième : « Marcher, bloquer, désobéir, saboter », tout un programme que l’échec de la COP 26 ne rend que plus nécessaire.

Le premier chapitre du livre intitulé « Ce que le chaos climatique dit de notre monde », montre d’abord l’énorme accélération des phénomènes : deux exemples parmi d’autres : le rythme de la fonte des glaciers du Groënland et de l’Antarctique est quatre fois plus rapide qu’il y a trente ans.L’élévation du niveau de la mer est plus rapide depuis 1990 qu’au cours des 3 000 dernières années. Sans compter de possibles phénomènes d’emballement.
« Nous savons désormais, disent-ils, qu’à franchir certains seuils, des évènements cumulatifs se déclenchent, imprévisibles, qui pourraient rendre la Terre en partie inhabitable » Il montre aussi que ni le marché des émissions, ni les mécanismes de compensation n’ont fait la preuve de leur efficacité.Quant à la finance verte, « La place prépondérante de la spéculation conduit à une vision court-termiste qui n’est pas du tout adaptée aux besoins sociaux et aux rythmes des écosystèmes. » Bref, que le néolibéralisme est incapable de résoudre la crise climatique et environnementale.

Certains pensent que la catastrophe est inévitable, et le lamentable échec de la COP 26 apporte de l’eau à leur moulin. Pourtant, sans même parler des survivalistes d’extrême droite, les auteurs critiquent le courant collapsologue car il incite davantage à se projeter dans l’après catastrophe qu’à agir ici et maintenant pour l’éviter ou à tout le moins à en limiter au maximum l’ampleur et les dégâts.

Le livre traite aussi assez longuement, d’un aspect qui est rarement abordé, les rapports du réchauffement climatique et des régimes autoritaires.On pense bien sûr aux climato-sceptiques genre Trump, Modi et Bolsonaro qui relancent les énergies fossiles et pour le dernier la déforestation en plus. Mais il incite aussi à regarder du côté de la Chine. Nous avons là un authentique pays capitaliste, même s’il se prétend, contre toute évidence, communiste. C’est un régime, qui étouffe brutalement toute velléité de démocratie, qui est en train de mettre en place un système de contrôle et de surveillance de sa population absolument hallucinant, mais qui, face à une situation environnementale très dégradée, a pris conscience de la gravité et de l’urgence du problème et commence à agir, mais en utilisant toutes les ressources offertes par la technoscience : les énergies renouvelables mais aussi le nucléaire et envisage même l’ingénierie climatique aux effets inconnus, et potentiellement catastrophiques. On peut se demander si cette combinaison de Big Brother numérique, d’oppression politique, de dirigisme économique, et de technoscience, toutes choses parfaitement compatibles avec le capitalisme le plus brutal, ne risquerait pas de donner un modèle aux classes dominantes de chez nous pour régler la question climatique sans toucher aux fondamentaux du capitalisme.

« Justice climatique », c’est le titre du livre. D’emblée, on ne pense pas à associer ces deux mots. Justice, c’est plutôt justice sociale, climat c’est plutôt énergies renouvelables et décroissance. Pourtant il y a un chapitre intitulé : « Sur le Titanic, il y a celles et ceux qui rament et les autres » Les autres, ce sont par exemple les 10% les plus riches qui entre 1995 et 2015, ont été responsables de 52% des émissions de CO2. Chez nous aussi, plus on est riche plus on pollue, mais ça ne se voit pas. De plus, en France, selon l’ INSEE, il y a un écart d’espérance de vie de 13 ans entre les 5% les plus riches et les 5% les plus pauvres.

Plus surprenant, le livre pointe que là aussi les inégalités de genre existent. D’après un rapport de l’ONU, le femmes ont bien plus de chances de mourir que les hommes en cas de catastrophe naturelle. Les hommes sont aussi très majoritaires chez les climato-sceptiques. Ce n’est pas trop le cas chez nous, mais dans les pays du Sud, il y a des mouvements éco-féministes qui nouent des liens entre défense des écosystèmes et lutte contre la domination de genre.

Tous les humains ne sont pas indistinctement responsables de cette situation, et les auteurs critiquent la notion d’Anthropocène qui pourrait le suggérer. Comme on l’a vu, plus on est riche plus on pollue, mais moins on subit les conséquences de cette pollution.

Nous allons passer plus vite sur la deuxième partie du livre intitulée : « Marcher, bloquer, désobéir, saboter, comment agir pour le climat aujourd’hui. »

Les auteurs passent en revue les différentes formes d’action, tant au Nord qu’au Sud ainsi que leur évolution depuis quelques années face à des gouvernements qui font la sourde oreille devant les marches, les manifestations, les mouvements d’opinion ce qui entraine l’exaspération de certains militants et les poussent à des actions plus dures. Il suffit de voir, par exemple, comment Macron a quasiment enterré les avis de la Convention Citoyenne pour le Climat qu’il avait mise en place et dont il avait promis de suivre les avis « sans filtre »

Ils insistent sur le fait que si ces actions ne sont pas toujours compatibles entre elles, aucune n’est illégitime et qu’ avec des modalités différentes, elles se complètent sans s’opposer.
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Enfin, dans la conclusion, les auteurs mènent une réflexion intéressante sur ce que devrait être une planification démocratique, s’articulant aux différents niveaux du territoire, du local au national.

Ce livre, très dense tant par le nombre et la qualité des informations que par la réflexion qui les accompagne, est très bien écrit, très clair, se lit sans difficulté. Il informe, fait réfléchir et incite fortement à agir.

André Oliva