Que le projet de loi agricole ait Duplomb dans l’aile !

, par JN

L’appel des scientifiques paru dans le journal Le Monde le 25 juin 2025
Loi Duplomb : « La préservation de la santé humaine et de l’environnement n’est pas une contrainte »

Signée par un collectif composé de 10 personnes qui sont toutes Directeur et directrice de recherche au CNRS ; en sciences, Ecologie et environnement, Droit public.

Examinée en commission mixte paritaire le 30 juin, la proposition de loi Duplomb se propose de « lever les contraintes » concernant l’usage des pesticides ou le stockage de l’eau. Un collectif de scientifiques rappelle, dans une tribune au « Monde », d’autres enjeux plus vitaux : la santé des humains (à commencer par celle des agriculteurs), la biodiversité ou la fertilité des sols et leurs rendements, que les pesticides entament gravement à long terme.

La proposition de loi déposée le 1er novembre 2024 par le sénateur (Les Républicains) de la Haute-Loire Laurent Duplomb dit viser à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». De quelles contraintes parle-t-on et quelles conséquences cette loi aura-t-elle sur notre santé et notre économie ?
Le texte a pour but de diminuer certaines régulations administratives qui seraient vécues comme des contraintes par une partie de la profession agricole, en réautorisant des pesticides et en amoindrissant le rôle des agences sanitaires dans le processus d’homologation. Aujourd’hui, les contraintes majeures qui pèsent sur l’agriculture concernent bien plutôt la santé des hommes et de leur environnement.
Les mesures réglementaires remises en cause par ce projet de loi ont été précisément mises en place afin de préserver la santé, et d’abord celle des agriculteurs, qui sont les premiers frappés par des maladies professionnelles telles que le cancer de la prostate ou la maladie de Parkinson. Plusieurs études ont démontré les liens de causalité entre une dizaine de maladies en milieu agricole et l’usage de pesticides.
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Ces mesures réglementaires avaient aussi pour but de limiter les effets néfastes de l’usage d’intrants chimiques pour la production agricole sur le long terme. Cet usage a en effet causé l’effondrement des populations d’oiseaux et d’insectes, y compris de centaines d’espèces de pollinisateurs. L’usage des intrants chimiques augmente les rendements agricoles à court terme, mais détruit également la fertilité des sols sur le long terme. Les sols arables sont dégradés sur un quart de leur surface en France métropolitaine et sont moins aptes à retenir eau et nutriments, ce qui entraîne une baisse des rendements dans les dix principales cultures.
Risques avérés
La surveillance de la qualité des cours d’eau et des nappes souterraines montre que les pesticides sont présents dans la plupart des sous-bassins (un quart des nappes phréatiques s’avèrent contaminées), et se retrouve dans l’eau du robinet et l’eau de source. Des études estiment qu’un pourcentage important des aliments vendus en France contient des pesticides : près de trois quarts des fruits et quasiment la moitié des légumes non bio contenaient au moins un résidu de pesticides de 2017 à 2021.
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Jusqu’à présent, l’utilisation de pesticides était conditionnée à l’avis scientifique et à l’autorisation de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Mais la proposition de loi prévoit, en l’état, la création d’un « conseil d’orientation pour la protection des cultures », qui informera le ou la ministre ayant le pouvoir de fixer la liste des usages prioritaires des pesticides. La composition de ce conseil étant fixée par décret, on peut craindre qu’il comporte en son sein des membres ayant de forts conflits d’intérêts et qu’il ne tienne pas compte des avis scientifiques. Cela permettrait de toujours autoriser des substances dont l’analyse par l’Anses aurait auparavant perpétué l’interdiction, en raison de leur toxicité pour la santé humaine et l’environnement.
La proposition de loi, qui doit être discutée en commission mixte paritaire le 30 juin, permet également la réutilisation de substances pesticides autorisées sur le plan européen à titre dérogatoire, comme le néonicotinoïde acétamipride, dont la toxicité fait pourtant courir des risques bien avérés pour la biodiversité (pollinisateurs, faune du sol) et pour plusieurs aspects de santé humaine, compte tenu de la longévité de ses molécules et de sa capacité à être transporté en solution dans l’eau, y compris dans l’eau de pluie.
Mauvais procès
La proposition de loi souhaite aussi faciliter la généralisation de projets de stockage de l’eau sans tenir compte de son partage dans les territoires et entre les différents usages. Elle met en avant un « intérêt général majeur », qui permettrait une dérogation facilitée à l’interdiction de destruction d’espèces protégées sur le lieu de stockage d’eau, comme à Sainte-Soline par exemple. Elle prive les citoyens et les élus d’un débat sur la gestion de cette ressource à l’échelle des territoires.
Enfin, cette proposition de loi, dans son dernier article, ne fait que renforcer le mauvais procès d’intention contre l’Office français de la biodiversité, dont le rôle est primordial, y compris pour protéger les agriculteurs.
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L’examen restreint de ce texte en commission mixte paritaire peut amener à ce qu’il incorpore des dispositions encore plus négatives en matière de risques pour la biodiversité et la santé humaine, sans que des auditions de toutes les parties prenantes permettent d’éclairer le débat législatif.
La proposition de loi Duplomb témoigne d’une vision court-termiste de l’agriculture et de ses conséquences sur l’environnement que nous partageons tous. Elle méprise la santé et le bien-être de la population ainsi que le rôle central des espèces sauvages dans la production agricole. Son adoption serait un recul majeur pour le bien commun, à un moment où citoyens et agriculteurs, conscients de l’importance des enjeux, souhaitent le développement d’une agriculture respectueuse des hommes et de leurs environnements, produisant une alimentation saine de manière durable.
Tous les signataires de cette tribune sont directeurs de recherche au CNRS, sauf mention contraire : Jérôme Chave, Académie des sciences ; Isabelle Chuine, Académie des sciences, Académie d’agriculture ; Agathe Euzen, directrice adjointe scientifique de CNRS Ecologie et environnement ; Tatiana Giraud, Académie des sciences ; Philippe Grandcolas, auteur de la tribune, directeur adjoint scientifique de CNRS Ecologie et environnement ; Dorian Guinard, maître de conférences en droit public, université Grenoble-Alpes ; Sandra Lavorel, Académie des sciences ; Jean-Dominique Lebreton, Académie des sciences ; Yvon Le Maho, Académie des sciences ; Gilles Pinay, directeur adjoint scientifique de CNRS Ecologie et environnement.